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le chien d’or

ambulant, une spécialité pas tout-à-fait inutile qui fleurissait sous l’ancien régime, dans la Nouvelle-France.

Un plat vide et quantité de miettes amassées sur la table, faisaient voir que le vieux notaire avait grassement déjeûné avant de prendre la plume. Tout près de son coude, au fond d’un grand sac de peau entr’ouvert, on voyait apparaître quelques paquets de papiers sales attachés avec du galon rouge, un ou deux misérables volumes de la Coutume de Paris, et un peu plus que les couverts d’un tome de Pothier, son grand homonyme et sa première autorité en droit. Au milieu de tout cela, quelques morceaux de linge aussi malpropres que les papiers. Mais les habitants se souciaient bien de tout cela ! Tant il leur fournissait des arguments contre leurs adversaires. Ils étaient fiers même de son suprême négligé.

Maître Pothier dit Robin jouissait d’une grande réputation parmi les habitants, et c’était fort naturel ; il allait de paroisse en paroisse, de seigneurie en seigneurie, rédigeant pour tous des billets, des obligations, des contrats de mariage, des testaments ; et l’on sait si nos gens, en vrais Normands qu’ils sont, invoquent la loi et font des chicanes, respectent les documents écrits et les cachets de cire. Maître Pothier trouvait toujours des lacunes et des défauts dans les actes des autres notaires, et rien n’égalait l’embrouillement des siens. Ce n’était pas sans raison qu’il se vantait de pouvoir embarrasser le Parlement de Paris et désespérer l’habileté des plus rusés avocats de Rouen. Il y avait autant de sources de discorde dans ses actes que de graines dans une figue, et il mettait ses clients dans l’eau bouillante, comme on dit, ou dans les procès pour le reste de leurs jours. S’il lui arrivait, par hasard, de régler une querelle entre voisins, il s’en dédommageait amplement en mettant aux prises le reste de la paroisse.