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XI
INTRODUCTION

dont ils célébraient les hauts faits. Hôtes favoris des palais quelque peu rustiques des Jarls ou des demeures des riches marchands, ils allaient aussi, chantant ou disant, de villages en villages, quand ils n’étaient pas en campagne ou en expédition de pillage.

Les scaldes connaissaient à merveille la mythologie nordique, les légendes des vieux héros et l’histoire des grandes familles. Comme en un sacerdoce, il les conservaient et les transmettaient de génération en génération, dans une société et dans un temps où l’écriture était à peu près totalement inconnue. Les « runes »[1] ne la remplaçaient que très imparfaitement et n’étaient pas d’un usage courant.

On sait par d’autres exemples combien ces conditions sont favorables au développement de la mémoire. Les scaldes et même les fils de grandes familles la cultivaient comme un rite comparable à celui de ce feu, qui ne devait jamais s’éteindre. En ce temps, elle tenait lieu d’archives de famille et de cartulaire. Par elle se transmettaient l’histoire des peuples et les exploits des aïeux. Cette culture, cette richesse de la mémoire donnent un poids historique considérable aux Sagas. Au début, dans la période où il composait son récit, le Scalde n’eût point osé choquer la vérité devant une assemblée dont les membres avaient souvent vécu leur poème. Dans ce petit peuple où tous se connaissaient, chacun savait les traits marquants, les détails typiques ou techniques de l’aventure célébrée.

Dans la suite, le scalde s’en reposait sur la fidélité de sa mémoire pour colporter son histoire, la transmettre à d’autres scaldes doués eux-mêmes des mêmes qualités.

On peut en déduire que la Saga est à coup sûr foncièrement véridique. La simple lecture, aujourd’hui, malgré l’épreuve d’un si long temps enfui et des transcriptions, en donne une impression profonde.

Par ailleurs, les auditeurs, rudes guerriers ou hardis compa-

  1. Les runes sont les lettres d’un alphabet de composition variable au cours des âges, qu’on gravait sur le bois ou sur la pierre pour transmettre certains événements ou certains noms.