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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/120

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CHRONIQUES

et les guides que l’indicateur des chemins de fer. Mon trouble, c’était en effet de penser que cette Florence, que je voyais devant moi, proche mais inaccessible, dans mon imagination, je pourrais l’atteindre, par un biais, par un détour, en prenant la « voie de terre ». Je ne pus plus contenir ma joie quand mon père, tout en déplorant le froid, commença à chercher quel serait le meilleur train et quand je compris qu’en pénétrant après le déjeuner dans l’antre fumeux, dans le laboratoire vitré de la gare, en montant dans le wagon magique qui se chargerait d’opérer la transmutation tout autour de nous, nous pourrions nous éveiller le lendemain au pied des collines de Fiesole, dans la cité des lis : « En somme, ajoute mon père, vous pourriez arriver à Florence dès le 29 ou même, le matin de Pâques », faisant ainsi sortir cette Florence non plus seulement de l’Espace abstrait, mais de ce Temps imaginaire où nous situons non pas une seule villégiature, mais d’autres simultanées pour la faire entrer dans une semaine particulière de ma vie (semaine commençant le lundi) où la blanchisseuse devait me rapporter le gilet blanc que j’avais couvert d’encre, semaine vulgaire mais réelle, car elle ne comportait pas de double emploi. Et je sentis que par la plus émouvante des géométries, j’allais avoir à inscrire dans le plan de ma propre vie, les dômes et les tours de la cité des fleurs.

Enfin j’atteignis le dernier terme de l’allégresse, quand j’entendis mon père me dire : « Il doit encore faire froid le soir au bord de l’Arno, tu feras bien de mettre, à tout hasard, dans la malle, ton pardessus d’hiver et ton gros veston. »

Car je sentis alors seulement que c’était moi-même