Aller au contenu

Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
CHRONIQUES

et des roses dans le Fervaal de M. d’Indy. — Les rêves que nous mettons dans les noms restent intacts tant que nous gardons ces noms hermétiquement clos, tant que nous ne voyageons pas ; mais, dès que nous les entr’ouvrons, si peu que ce soit, dès que nous arrivons dans la ville, en eux le premier tramway qui passe se précipite, et son souvenir demeure inséparable à jamais de la façade de Santa Maria Novella.

J’avais eu le soupçon l’an passé que le jour de Pâques n’était pas différent des autres, qu’il ne savait pas qu’on l’appelât Pâques, et dans le vent qui soufflait, j’avais cru reconnaître une douceur que j’avais déjà sentie, la matière immuable, l’humidité familière, l’ignorante fluidité des anciens jours. Mais je ne pouvais empêcher les souvenirs des projets que j’avais faits l’autre année de donner à la semaine de Pâques quelque chose de florentin, à Florence quelque chose de pascal. La semaine de Pâques était encore loin, mais dans la rangée des jours qui s’étendait devant moi les jours saints se détachaient plus clairs, touchés d’un rayon comme certaines maisons d’un village éloigné qu’on aperçoit dans un reflet d’ombre et de lumière ; ils retenaient sur eux tout le soleil. Comme pour la ville bretonne, qui remonte à certaines époques de l’abîme où elle est engloutie, Florence renaissait pour moi. Chacun déplorait le mauvais temps, le froid. Mais moi, dans une langueur de convalescence, le soleil qu’il devait y avoir dans les champs de Fiesole me forçait à cligner des yeux et à sourire. Ce ne furent pas seulement les cloches qui arrivaient d’Italie, l’Italie était venue elle-même. Mes mains fidèles ne manquèrent pas de fleurs pour