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CHRONIQUES

l’âme ardente et obstinée de leur parti depuis la Révolution… au moins. J’ai vu une fois, au bord de la mer, des petites filles qui jouaient. L’une, courant à petits pas, faisait une princesse en voiture. Une autre la rattrapait pour lui apporter un manchon oublié et elle criait de toutes ses forces : « Madame, Votre Altesse Royale a oublié son manchon. La Princesse a oublié son manchon. Votre manchon, ma Princesse. » La petite fille remerciait d’un sourire et prenait le manchon sans étonnement. Tel le député de la rue Serpente à qui l’on dit : « Monsieur le Ministre, prenez ce portefeuille. » Mais s’ils ne sourient pas, c’est qu’ils travaillent au fond très sérieusement et que sous l’éminente direction d’un homme supérieur, M. André Lebon, leurs études ont pris beaucoup d’ampleur, de force et comme de valeur historique. Car les lois repoussées à la Chambre des députés et qu’on vote là, seront un jour des précédents. Elles sont, en attendant, des signes de l’orientation politique de la jeunesse, qui semble beaucoup plus tolérante, beaucoup plus pénétrée de l’importance de l’idée religieuse que la génération précédente. Nous ne pouvons énumérer ici tous les orateurs de la rue Serpente, n’en ayant encore entendu que quelques-uns. Le président du Conseil, qui vient d’être renversé pour avoir soutenu les lois scolaires, M. Paisant, prononce et chante ses discours avec une force douce et calme qui est délicieuse. Il est le plus habile, le plus insinuant et fuyant tour à tour, le plus harmonieusement changeant des orateurs de la rue Serpente. On peut dire qu’il y exécute avec beaucoup de grâce et de souplesse, la danse Serpentine. Ce qui ne l’empêche pas de savoir ce qu’il veut et de sacrifier très généreusement