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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/156

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CHRONIQUES

vous étonnez que le maître soit obligé d’expliquer ses idées à ses disciples. Mais n’est-ce pas ce qui est toujours arrivé dans l’histoire de la Philosophie où les Kant, les Spinoza, les Hegel, aussi obscurs qu’ils sont profonds, ne se laissent pas pénétrer sans des difficultés bien grandes. Vous vous serez mépris sur le caractère de nos poèmes : ce ne sont pas des fantaisies, ce sont des systèmes. »

Le romancier bourrant de philosophie un roman qui sera sans prix aux yeux du philosophe aussi bien que du littérateur ne commet pas une erreur plus dangereuse que celle que je viens de prêter aux jeunes poètes et qu’ils ont non seulement mise en pratique, mais érigée en théorie.

Ils oublient, comme ce romancier, que si le littérateur et le poète peuvent aller en effet aussi profond dans la réalité des choses que le métaphysicien même, c’est par un autre chemin, et que l’aide du raisonnement, loin de le fortifier, paralyse l’élan du sentiment qui seul peut les porter au cœur du monde. Ce n’est pas par une méthode philosophique, c’est par une sorte de puissance instinctive que Macbeth est, à sa manière, une philosophie. Le fond d’une telle œuvre, comme le fond même de la vie, dont elle est l’image, même pour l’esprit qui l’éclaircit de plus en plus, reste sans doute obscur.

Mais c’est une obscurité d’un tout autre genre, féconde à approfondir et dont il est méprisable de rendre l’action impossible par l’obscurité de la langue et du style.

Ne s’adressant pas à nos facultés logiques, le poète ne peut bénéficier du droit qu’a tout philosophe profond de paraître d’abord obscur. S’y adresse-t-il