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NOTES ET SOUVENIRS

miséricordes et la rampe racontent l’Ancien et le Nouveau Testament, ce n’est pas seulement au peuple emplissant l’immense nef, que la cathédrale, si le projet de M. Briand était voté, se trouverait fermée, ne pourrait plus donner la messe et les prières. Nous disions tout à l’heure que presque toutes les images dans une cathédrale étaient symboliques. Quelques-unes ne le sont point. Ce sont les images peintes ou sculptées de ceux qui ayant contribué de leurs deniers à la décoration de la cathédrale voulurent y conserver à jamais une place pour pouvoir, des balustres de la niche ou de l’enfoncement du vitrail, suivre silencieusement les offices, et participer sans bruit aux prières, in sæcula sæculorum. On sait que, les bœufs de Laon ayant chrétiennement monté jusque sur la colline où s’élève la cathédrale les matériaux qui servirent à la construire, l’architecte les en récompensa en dressant leurs statues au pied des tours, d’où vous pouvez les voir encore aujourd’hui, dans le bruit des cloches et la stagnation du soleil, lever leurs têtes cornues au-dessus de l’arche sainte et colossale jusqu’à l’horizon des plaines de France leur « songe intérieur ». Pour des bêtes, c’est tout ce qu’on pouvait faire aux hommes, on accordait mieux.

Ils entraient dans l’église, ils y prenaient leur place qu’ils gardaient après leur mort et d’où ils pouvaient continuer, comme au temps de leur vie, à suivre le divin sacrifice, soit que penchés hors de leur sépulture de marbre, ils tournent légèrement la tête du côté de l’évangile ou du côté de l’épître, pouvant apercevoir, comme à Brou, et sentir autour de leur nom l’enlacement étroit et infatigable des fleurs emblématiques et d’initiales adorées, gardant parfois jusque dans leur tombeau,