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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/182

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CHRONIQUES

comme à Dijon, les couleurs éclatantes de la vie ; soit qu’au fond du vitrail dans leurs manteaux de pourpre, d’outre-mer ou d’azur, qui emprisonne le soleil, s’en enflamme, remplissent de couleurs ses rayons transparents et brusquement les délivrent, multicolores, errant sans but parmi la nef qu’ils teignent, dans leur splendeur désorientée et paresseuse, leur palpable irréalité, ils restent les donateurs qui, à cause de cela même, avaient mérité la concession d’une prière à perpétuité. Et tous, ils veulent que l’Esprit-Saint, au moment où ils descendra de l’Église, reconnaisse bien les siens. Ce n’est pas seulement la reine et le prince qui portent leurs insignes, leur couronne ou leur collier de la Toison d’or. Les changeurs se sont fait représenter vérifiant le titre des monnaies, les pelletiers vendant leurs fourrures (voir dans Mâle la reproduction de ces deux vitraux), les bouchers abattant des bœufs, les chevaliers portant leur blason, les sculpteurs taillant des chapiteaux. Ô vous tous, de vos vitraux de Chartres, de Tours, de Bourges, de Sens, d’Auxerre, de Troyes, de Clermont-Ferrand, de Toulouse, tonneliers, pelletiers, épiciers, pèlerins, laboureurs, armuriers, tisserands, tailleurs de pierre, bouchers, vanniers, cordonniers, changeurs, ô vous, grande démocratie silencieuse, fidèles obstinés à entendre l’office, non pas dématérialisés mais plus beaux qu’aux jours de votre vie, dans la gloire de ciel et de sang du précieux vitrage, — vous n’entendrez plus la messe que vous vous étiez assurée en donnant pour l’édification de l’église le plus clair de vos deniers. Les morts ne gouvernent plus les vivants, selon la parole profonde. Et les vivants oublieux cessent de remplir les vœux des morts.