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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/192

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CHRONIQUES

à partir sur l’Argo à la conquête des toisons d’or.

Mais cette fois, rien de matériel où se raccrocher, rien qu’un infini bruissant et bleuâtre, reflétant l’éternité du ciel, vierge comme la mer, sans un vestige humain, sans un débris terrestre. Mais aussi, ceux qui aiment la poésie y pourront rêver sans fin comme s’ils voguaient sur la mer ou sur les vers de Baudelaire, de Lamartine ou de Vigny. Car Henri de Régnier est le pair de ces grands poètes et siègera dans notre admiration bien au-dessus des Parnassiens en apparence inaccessibles. Mais nos louanges — si brèves soient-elles — doivent être bien entendues. Si une telle poésie n’est pas œuvre d’intelligence, comment oserons-nous la juger divine, et pourrons-nous tout à la fois nous en griser et nous mépriser de nous en être grisés ?

Au-dessus de ce qu’on appelle généralement intelligence, les philosophes cherchent à saisir une raison supérieure une et infinie comme le sentiment, à la fois objet et instrument de leurs méditations. C’est un peu de cette raison, de ce sentiment mystérieux et profond des choses que Tel qu’en songe réalise ou présente.

Marcel Proust.
Le Banquet, novembre 1892.