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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/194

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CHRONIQUES

rien à désirer. Il y a un charme, un talisman qui tient aux doigts de l’ouvrier. Ce livre réussira parce qu’il est de l’enchanteur. » Pendant longtemps, chaque fois que la Revue des Deux-Mondes, la Revue de Paris, ou le Figaro faisaient connaître de nouveaux poèmes de Mme de Noailles, on entendit demander avec le Cantique des Cantiques : « Quelle est celle-ci qui s’avance, pareille à une colonne de fumée en forme de palme, exhalant de la myrrhe, de l’encens, et toutes les poudres du parfumeur ? » Et, dans ses vers, le poète nous répondait, comme la Sulamite : « Venez avec moi au jardin voir les herbes de la vallée, voir si la vigne a germé, si la grenade est en fleurs. Mon jardin a des bosquets où le grenadier se mêle aux plus beaux fruits, le troëne au nard, le nard, le safran, la cannelle, le cinname, la myrrhe à toutes sortes d’arbres odorants… » Je dirai plus loin un mot de ce jardin, « de ce jardin dont je parlais toujours », comme dit Mme de Noailles dans une pièce des Éblouissements, parlant d’elle-même avec un sourire. Mais je voudrais tâcher de parler aussi un peu d’autre chose et, pour commencer, d’un aspect tout accessoire, d’un porche secondaire et peu fréquenté de son œuvre. Mais cette entrée de traverse nous mènera plus rapidement au cœur.

Gustave Moreau a souvent, dans ses tableaux et ses aquarelles, essayé de peindre cette abstraction : le Poète. Dominant sur un cheval harnaché de pierreries, qui tourne vers lui un œil amoureux, la foule agenouillée où l’on reconnaît les diverses castes