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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/195

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CRITIQUE LITTÉRAIRE

de l’Orient, tandis que lui n’appartient à aucune, enveloppé de blanches mousselines, la mandore au côté, respirant avec une gravité passionnée le parfum de la fleur mystique qu’il tient à la main, le visage empreint d’une douceur céleste, on se demande, à le bien regarder, si ce poète n’est pas une femme. Peut-être Gustave Moreau a-t-il voulu signifier que le poète contient en lui toute l’humanité, doit posséder les tendresses de la femme ; mais si, comme je le crois, il voulait aussi envelopper de poésie le visage, les vêtements, l’attitude de celui dont l’âme est poésie, c’est seulement parce qu’il a situé cette scène dans l’Inde et la Perse qu’il a pu nous laisser hésitants sur le sexe du poète. S’il avait voulu prendre son poète à notre époque et dans nos pays et l’entourer cependant d’une beauté précieuse, il aurait été obligé d’en faire une femme. Même en Orient, d’ailleurs, même en Grèce, il s’y est souvent décidé. Alors, c’est une poétesse qu’il nous montre, suivant avec une Muse la pourpre d’un sentier montagneux, où passe parfois un dieu ou un Centaure. C’est, ailleurs, dans une aquarelle encadrée de fleurs comme une miniature persane, la Péri, la petite musicienne des dieux, qui, montée sur un dragon, élevant devant elle une fleur sacrée, voyage en plein ciel. Et toujours, dans l’une ou l’autre de ces figures auxquelles l’art du peintre a donné une sorte de beauté religieuse : dont le poète subjuguant la foule par son éloquence, dans la poétesse inspirée aussi bien que dans la petite voyageuse du ciel persan dont les chants sont le charme des dieux, j’ai toujours cru reconnaître Mme de Noailles.

Je ne sais si Gustave Moreau a senti combien, par