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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/199

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CRITIQUE LITTÉRAIRE

le moi qu’on a défini d’un seul mot en disant qu’il était haïssable.

Dans un livre que j’aimerais écrire et qui s’appellerait les Six Jardins du Paradis, le jardin de Mme de Noailles serait, entre tous, le plus naturel, si je puis dire, le seul où ne règne que la nature, où ne pénètre que la poésie. Dans les autres la nature n’est pas toujours abordée directement par le sentiment, et la poésie même y est quelquefois atteinte (je suis loin d’ailleurs d’oser décider si c’est un défaut), par les biais de l’étude ou de la philosophie. Déjà visité par les Anges, laissons au bord du lac de Coniston le jardin de John Ruskin sur lequel j’aurais trop à dire ; mais le jardin de Maurice Maeterlinck, dominé par les images « innocentes, invariables et fraîches » d’un cyprès et d’un pin parasol, tels, dit-il, dans une des plus belles pages de la prose française depuis soixante ans, qu’il « n’imagine pas de paradis ou de vie d’outre-tombe, si splendide soit-elle, où ces arbres ne soient pas à leur place », ce jardin où le Virgile des Flandres, près des ruches de paille, peintes en rose, en jaune et en bleu tendre, qui, dès l’entrée, nous rappellent ses études préférées, a recueilli tant d’incomparable poésie, peut-on bien dire qu’il n’y cherche pas autre chose que la poésie ? Que, — même sans avoir besoin de descendre, à l’instar de ses abeilles, jusqu’aux tilleuls en fleurs ou jusqu’à l’étang où la vallisnère attend l’heure de l’amour pour s’épanouir à la surface, — il visite seulement ses lauriers-roses, près du puits, à côté de ses sauges violettes, ou explore un coin