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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/200

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CHRONIQUES

inculte de l’olivaie, ce sera pour étudier une espèce curieuse de labiée, une variété de chrysanthèmes ou d’orchidées, qui lui permettront de conclure des progrès de l’intelligence des fleurs ou des victoires que nous pouvons remporter sur leur inconscient, à d’autres progrès, à d’autres victoires aussi, qui ne seraient pas remportées celles-là dans le monde des fleurs, mais rapprocheraient l’humanité de la vérité et du bonheur. Car pour cet évolutionniste dans l’absolu — si l’on peut dire, — science, philosophie et morale sont sur le même plan, et l’horizon de bonheur et de vérité n’est pas un mirage résultant des lois de notre optique et de la perspective intellectuelles, mais le terme d’un idéal réel, dont nous nous rapprochons effectivement. Le jardin d’Henri de Régnier, Dieu sait si je l’aime. C’est peut-être le premier que j’aie connu ; chaque année écoulée me l’a rendu plus aimable, et il ne s’en passe guère où je ne retourne plusieurs fois le visiter, soit chez M. d’Amercœur, M. de Heurteleure ou la princesse de Termiane, plus souvent à Pont-aux-Belles, et jamais alors sans pousser ma pointe de pèlerinage jusqu’au Fresnay. Quant à Bas-le-Pré, dès que, encore loin du jardin, je reconnais dans le ciel pluvieux ses tourelles pointues, j’éprouve un peu du tressaillement qui saisit M. de Portebize quand les lui décrit M. d’Oriocourt. Mais, sauf peut-être chez Mme de Néronde et Mme de Néry, la beauté des jardins n’est pas pour M. de Régnier une beauté purement naturelle ; du Triton de Julie à l’Escalier de Narcisse, on y admire partout des chefs-d’œuvre de sculpture, des artifices d’architecture et d’hydraulique ; il n’est pas jusqu’aux poissons, comme oxydés au sein des