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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/50

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CHRONIQUES

sa mort, réalisé les rêves artistiques. Peut-être même les sauteries gaies d’autrefois feront-elles retentir de nouveau le grand hall de musiques qui ne ressemblent en rien aux sonates de Bach ou aux quatuors de Beethoven qu’il a coutume d’écouter. Et la princesse, pour faire danser ses petits neveux, chargera quelques-uns des amis du comte Édouard de La Rochefoucauld de s’occuper du cotillon, car le hall de la rue Cortambert a connu même des danseurs, depuis M. Verdé-Delisle jusqu’au comte Bertrand d’Aramon et au marquis d’Albuféra (que l’on ne pourra plus bientôt appeler un danseur, car il prépare, avec un volume de Souvenirs sur son voyage en Tunisie, un résumé palpitant des Mémoires inédits d’un célèbre maréchal du premier Empire, mémoires dont seul M. Thiers avait eu connaissance et qu’il ne s’est pas fait faute d’utiliser en écrivant le Consulat et l’Empire). Mais si charmantes qu’elles renaissent, consacrées à l’art ou au plaisir, graves ou futiles, ces heures troublées ! quelque chose d’irremplaçable aura changé. Nous ne reverrons plus la figure du penseur, la figure de l’artiste, la figure de l’homme exquisement spirituel, aimant et bon « un aimable prince », comme dit Horatio. Et comme lui encore redisons au prince défunt qui tant aimait les chants angéliques et qui les entend sans doute en dormant le sommeil éternel : « Bonne nuit, aimable prince, et que des essaims d’anges bercent en chantant ton sommeil. »

Horatio.
Le Figaro, 6 septembre 1903.