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Page:Marcel Proust - Chroniques, éd. 1936.djvu/92

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CHRONIQUES

aime mieux ne pas trop recevoir, et comme on ne peut pas téléphoner toujours, on lit. On ne lit qu’à la dernière extrémité. On téléphone d’abord beaucoup. Et, comme nous sommes des enfants qui jouons avec les forces sacrées sans frissonner devant leur mystère, nous trouvons seulement du téléphone que « c’est commode », ou plutôt, comme nous sommes des enfants gâtés, nous trouvons que « ce n’est pas commode », nous remplissons le Figaro de nos plaintes, ne trouvant pas encore assez rapide en ses changements l’admirable féerie quelques minutes parfois se passent en effet avant qu’apparaisse près de nous, invisible mais présente, l’amie à qui nous avions le désir de parler, et qui, tout en restant à sa table, dans la ville lointaine qu’elle habite, sous un ciel différent du nôtre, par un temps qui n’est pas celui qu’il fait ici, au milieu de circonstances et de préoccupations que nous ignorons et qu’elle va nous dire, se trouve tout à coup transportée à cent lieues (elle, et toute l’ambiance où elle reste plongée), contre notre oreille, au moment où notre caprice l’a ordonné. Et nous sommes comme le personnage du conte de fées à qui un magicien, sur le souhait qu’il en exprime, fait apparaître dans une clarté magique sa fiancée, en train de feuilleter un livre, de verser des larmes ou de cueillir des fleurs, tout près de lui, et pourtant à l’endroit où elle se trouve alors, très loin.

Nous n’avons, pour que ce miracle se renouvelle pour nous, qu’à approcher nos lèvres de la planchette magique et à appeler — quelquefois un peu longtemps, je le veux bien — les Vierges vigilantes dont nous entendons chaque jour la voix sans jamais connaître leur visage et qui sont nos Anges gardiens dans ces