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fort comme la mort

nouveau venu, chercha des yeux Olivier, pour reprendre avec lui la causerie qui l’intéressait. Ne l’apercevant plus, elle demanda :

— Quoi le grand homme est parti ?

Son mari répondit :

— Je crois que oui, ma chère, je viens de le voir sortir à l’anglaise.

Elle fut surprise, réfléchit quelques instants, puis se mit à causer avec le marquis.

Les intimes, d’ailleurs, se retirèrent bientôt par discrétion, car elle leur avait seulement entr’ouvert sa porte, sitôt après son malheur.

Alors, quand elle se trouva étendue en son lit, toutes les angoisses qui l’avaient assaillie à la campagne, reparurent. Elles se formulaient davantage ; elle les éprouvait plus nettement ; elle se sentait vieille !

Ce soir-là, pour la première fois, elle avait compris que dans son salon, où jusqu’alors elle était seule admirée, complimentée, fêtée, aimée, une autre, sa fille, prenait sa place. Elle avait compris cela, tout d’un coup, en sentant les hommages s’en aller vers Annette. Dans ce royaume, la maison d’une jolie femme, dans ce royaume où elle ne supporte aucun ombrage, d’où elle écarte avec un soin discret et tenace toute redoutable comparaison, où elle ne laisse entrer ses égales que pour essayer d’en faire des vassales, elle voyait bien que sa fille allait devenir la souveraine. Comme il avait été bizarre, ce serrement de cœur quand tous les yeux s’étaient tournés vers Annette que Bertin tenait par la main, debout à côté du tableau. Elle s’était sentie soudain disparue, dépossédée, détrônée. Tout le monde regardait Annette,