Aller au contenu

Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
fort comme la mort

nuait, s’accentuait, l’exaspérait parfois. Elle se reprochait sans cesse ce besoin intime de délivrance, cette envie inavouable de faire sortir sa fille de chez elle, comme un hôte gênant et tenace, et elle y travaillait avec une adresse inconsciente, ressaisie par le besoin de lutter pour garder encore, malgré tout, l’homme qu’elle aimait.

Ne pouvant trop hâter le mariage d’Annette que leur deuil récent retardait encore un peu, elle avait peur, une peur confuse et forte, qu’un événement quelconque fît tomber ce projet, et elle cherchait, presque malgré elle, à faire naître dans le cœur de sa fille de la tendresse pour le marquis.

Toute la diplomatie rusée qu’elle avait employée depuis si longtemps afin de conserver Olivier prenait chez elle une forme nouvelle, plus affinée, plus secrète, et s’exerçait à faire se plaire les deux jeunes gens, sans que les deux hommes se rencontrassent.

Comme le peintre, tenu par des habitudes de travail, ne déjeunait jamais dehors et ne donnait d’ordinaire que ses soirées à ses amis, elle invita souvent le marquis à déjeuner. Il arrivait, répandant autour de lui l’animation d’une promenade à cheval, une sorte de souffle d’air matinal. Et il parlait avec gaieté de toutes les choses mondaines qui semblent flotter chaque jour sur le réveil automnal du Paris hippique et brillant dans les allées du bois. Annette s’amusait à l’écouter, prenait goût à ses préoccupations du jour qu’il lui apportait ainsi, toutes fraîches et comme vernies de chic. Une intimité juvénile s’établissait entre eux, une affectueuse camaraderie qu’un goût commun et passionné pour les chevaux resserrait naturellement. Quand il était parti, la comtesse et le comte faisaient