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Page:Maupassant - Fort comme la mort, Ollendorff, 1903.djvu/282

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VI

Sur le boulevard deux noms sonnaient dans toutes les bouches : « Emma Helsson » et « Montrosé ». Plus on approchait de l’Opéra, plus on les entendait répéter. D’immenses affiches, d’ailleurs, collées sur les colonnes Morris, les lançaient aux yeux des passants, et il y avait dans l’air du soir l’émotion d’un événement.

Le lourd monument, qu’on appelle « l’Académie nationale de Musique », accroupi sous le ciel noir, montrait au public amassé devant lui sa façade pompeuse et blanchâtre et la colonnade de marbre de sa galerie, que d’invisibles foyers électriques illuminaient comme un décor.

Sur la place, les gardes républicains à cheval dirigeaient la circulation, et d’innombrables voitures arrivaient de tous les coins de Paris, laissant entrevoir, derrière leurs glaces baissées, une crème d’étoffes claires et des têtes pâles.

Les coupés et les landaus s’engageaient à la file dans les arcades réservées et, s’arrêtant quelques instants, laissaient descendre, sous leurs pelisses de soirées garnies de fourrures, de plumes ou de dentelles inestimables, les femmes du monde et les autres, chair précieuse, divinement parée.