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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/150

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TANTE GERTRUDE

tie perdue ; je voyais Paulette, que j’aimais bêtement, malgré tous ses travers, remariée à ce bellâtre de Lanchères, ce joli monsieur à corset, ce pantin à qui on avait oublié de mettre un cœur dans la poitrine, et je ne dérageais pas ! Pour l’argent, je savais bien que tu en aurais ta part, puisque je restais maîtresse d’en disposer à ma guise, mais le désir de vous voir unis m’était devenu aussi cher qu’à mon olibrius de frère et je ne trouvais guère le moyen de le réaliser ! Heureusement le bon Dieu, qui était bien sûr dans mon jeu, a su tout arranger, et joliment encore ! Ton prince mort, ma nièce ruinée, je restais avec pas mal d’atouts en main ! Et tu sais si ça a marché ! Que de fois me suis-je sentie émue jusqu’aux larmes devant les efforts courageux de ma petite Paulette pour arriver à obtenir de toi un sourire approbateur, un mot d’éloge ! Quel maître habile et puissant que l’amour ! Comme il a su vite transformer la poupée frivole en une femme dévouée et sérieuse !

Avec quel héroïsme elle eût accepté la pauvreté, les épreuves d’une vie de travail et de lutte s’il l’eût fallu ! Mon Jean, mon enfant tant aimé, laisse-moi te dire combien je suis heureuse de votre amour à tous deux !… Vois ! je pleure comme une vieille bête ! et ce moment me paie de bien des tracas ! Pauvre Paulette ! Elle n’y a jamais rien compris ! Elle n’a rien deviné ! Elle s’étonnait de ma dureté, surtout ces derniers temps ! Elle ne se doutait guère que c’était pour hâter un dénouement qui se faisait trop attendre à mon gré, depuis que je l’appelais de tous mes vœux ! Je voulais te forcer à te dévoiler ! Vertudieu ! ce ne fut pas facile. Mais Gertrude de Neufmoulins y est arrivée tout de même ! Elle a pu réaliser ce projet si chèrement caressé : voir sa nièce comtesse de Ponthieu et rendre à ce Jean qu’elle a toujours aimé l’héritage qu’elle n’avait accepté que comme un dépôt…

Ils causèrent encore longtemps, la vieille châtelaine voulant tout savoir de la vie de Jean avant son arrivée au château, lui demandant mille détails sur « ses enfants ». Elle ne se lassait pas de l’écouter, de l’admirer ! Elle se révélait à lui sous un nouveau jour, lui laissant voir tout à coup les tré-