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TANTE GERTRUDE

Oh ! non, il n’était pas cul-de-jatte le Jean de Ponthieu qu’elle retrouvait dans ses souvenirs d’enfant !… Son imagination le lui représenta soudain tel qu’il était aux dernières vacances qu’il avait passées au château de Neufmoulins. Elle se revoyait, elle, à peu près âgée de six ans, perchée sur l’épaule de ce grand garçon déjà sérieux comme un homme, qui avait pour elle des précautions de frère aîné, lorsqu’ils couraient à travers les allées du parc. Elle ne se rappelait plus très bien ses traits, ni la couleur de ses cheveux ; il ne lui restait qu’un souvenir vague de deux grands yeux bruns, un peu durs, qui s’adoucissaient singulièrement pour elle, la petite Paulette…

Pourquoi la pensée de ce Jean de Ponthieu, dont elle n’avait jamais entendu parler depuis quinze ans, lui revenait-elle maintenant ? C’était sans doute à cause de ce testament où son nom se trouvait mêlé, et surtout de son refus… La nature humaine est vraiment bien étrange… Mme Wanel n’eût voulu pour rien au monde consentir au mariage stipulé par son oncle, et, d’autre part, elle se sentait froissée par le refus catégorique du jeune homme. Il l’avait oubliée sans doute… il ne l’avait pas revue… il ne soupçonnait pas sa merveilleuse beauté…

La belle Paule, habituée aux hommages et à l’admiration de tous, éprouvait un véritable dépit devant le dédain et l’indifférence de ce Jean de Ponthieu.

Sa tante, comme si elle eût deviné ses sentiments, reprit soudain :

— Tout de même, j’aimerais à le connaître, ce garçon. Bien sûr qu’il est de la famille, celui-là !

Ça se voit à sa façon d’agir. Refuser des millions et la main d’une jolie femme, ce n’est pas ordinaire ! c’est même original ! Et comme disait cet olibrius qu’était mon frère : « Tout le monde ne peut être original. » Pour toi, ma chère, il n’y a pas de mérite à renoncer à cette fortune : tu es déjà si riche. Mais il paraît que Jean de Ponthieu n’a pas le sou ; il travaille pour vivre, comme un simple gueux. S’il n’est pas laid à faire peur ou