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SABBAT

rants : l’un me glace, l’autre me brûle ; l’un me fait penser à ce que l’épée et la neige ont de commun dans la pureté ; l’autre, à ce que l’œillet et le crime ont de pareil dans la violence, et ce frisson, quand il me parcourt, me fait, à la fois, blanche de toute la mort et rose de toute la vie.

Il y a longtemps que je sais que nos seules ressources sont dans nos songes. Là, se trouvent nos danseuses aux trente colliers, nos Circé plus palpitantes que le frais mouvement de leurs îles perdues, au vent du soir… Là, règnent nos fastes et nos cuivres, nos sultanes brillant dans un soleil de bruits et notre captive, celle, tu sais, que nous avons ravie aux épices et aux vins, dans un port hostile et bleu, et qui est à nous de toute son âme muette et formidable de bête triste.

Crois-tu donc que j’aie besoin de la forme, quand, devant ton ombre évoquée, la beauté incendie mes bras, le bonheur déshérite mon visage du regard, l’orgueil multiplie mon cœur cent fois et lui donne le vol victorieux des oriflammes, la folie m’inspire mille rires dont chacun appelle, cherche, contredit, approuve, adore, déteste tous les autres, la splendeur cloue, à ma nudité, le masque pâle des reines orientales, la joie m’est aussi sensible, dans sa sonorité intermittente, que les clochettes d’un troupeau de chèvres errant dans les tamaris, la musique m’entoure d’une si tendre ferveur qu’elle égale en soupirs et mélancolie la rose qui s’effeuille ?