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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/802

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un homme qui allait faire un de ces mariages qu’on ne fait point, un homme qui se trompait ou qu’on trompait ; pourtant il ne savait rien.

Non, lui qui connaissait ordinairement dans leurs infinis détails, dans leurs circonstances et leurs contours, par la face et parle revers, toutes les aventures parisiennes, ne connaissait pas encore celle-là. C’est qu’il était arrivé d’Italie la veille même. Il s’était justement croisé à Milan avec le comte Lallia, qui venait de France ; mais le comte se méfiait d’Horace Raison comme d’un de ces personnages dangereux qui manient quelquefois la plume et que les états policés devraient rejeter de leur sein. Horace n’avait encore revu à Paris âme qui vive ; il ne savait donc rien, absolument rien de l’étonnante fortune de M’"*" d’Espérilles , et vis-à-vis de Julien il n’avait qu’un pressentiment.

Les deux amis dînèrent ensemble. Horace attendait de Julien quelques confidences ; mais celui-ci n’en fit pas. Le dîner s’acheva presque froidement, et l’on se sépara. Julien, en rentrant chez lui, trouva un billet de Lucy qui lui reprochait de l’avoir laissée seule tout le jour, et qui le suppliait de ne pas oublier qu’il était attendu chez la baronne d’Espérilles. Ce billet contenait une petite branche de chèvrefeuille desséchée avec ces mots : « il vient du cimetière. » Pourquoi n’avait-elle jamais parlé de cette relique ?... Et pourquoi en aurait-elle parlé ? Est-ce qu’on parle d’une fleur desséchée ? On n’y pense pas davantage. Un jour, après bien du temps écoulé, en ouvrant un livre, on la retrouve entre deux feuillets où on l’avait mise. On se dit : D’où vient-elle ? puis la mémoire se réveille. C’est ce qui était arrivé sans doute à Lucy pour cette branche de chèvrefeuille ; mais cela était arrivé bien à propos. Il n’était pas besoin pourtant de cette fleur pour faire ressouvenir Julien de sa promesse. Lucy lui avait expressément recommandé le matin de ne point se présenter après neuf heures chez la baronne. Les tard venus n’y étaient pas les bienvenus. Si détachée que fût la sainte femme de toute vaine mollesse, elle était bien obligée de céder aux droits de la nature, qui veut que tout le monde se repose, même les saints. Or chacun savait que la baronne d’Espérilles s’arrachait de son lit aux clartés de l’aube pour courir auprès de ses pauvres, à qui le bien venait en dormant. Julien s’habillait donc douloureusement lorsqu’il reçut ce billet. Il partit. Lucy était depuis longtemps établie chez sa parente quand il entra. Oh ! ce n’était point là une paix fourrée, mais une réconciliation parfaite. La jeune femme avait dîné dans la maison. Elle avait apporté ce soirlà bien du tact dans le choix de sa toilette, car elle était vêtue d’une robe grise rehaussée d’agréraens noirs.

Le valet qui précédait Julien annonça monsieur de GUgny. G’é-