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Page:Sand - La Filleule.djvu/38

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sien, insistait pour qu’on l’appelât Scholastique. Le maire avait l’habitude de donner à tous les enfants trouvés de sa commune le même prénom, Frumence, quel que fût leur sexe. Il me fallut soutenir plus d’un assaut pour baptiser à mon gré ma filleule ; mais quand on m’eut concédé ce droit, je me trouvai fort embarrassé. Aucun nom ne me semblait assez caractéristique pour une destinée aussi étrange ; mais il était dans celle de l’enfant d’en avoir un très-vulgaire. Je m’avisai de regarder le bracelet que j’avais retiré du poignet de la morte : c’était une grosse chaîne d’or fermée d’un cadenas sur lequel étaient gravées d’imposantes armoiries, et d’une plaque qui portait ce seul mot : Morena.

Dans ma simplicité, je crus avoir fait une grande découverte, et j’allai fièrement montrer à mon ami Roque le nom de la mère, et la généalogie de l’enfant écrite dans la langue hiéroglyphique du blason. Il éclata de rire.

— Cela ? s’écria-t-il, c’est un collier de chien volé à quelque grande dame espagnole, et ce nom, si doux en français, qui, tu le sais, signifie tout bonnement noire ou brune, c’est le nom d’une petite chienne qui aura peut-être coûté bien des pleurs à sa maîtresse. Les gitanos sont grands escamoteurs de chiens et de chevaux, surtout quand ces animaux de luxe sont ornés richement. Que ta grande flâneuse d’imagination daigne donc rabattre de ses fumées : tu n’auras pas pour filleule une descendante de quelque Medina-Cœli, enlevée à son berceau par les sorcières errantes de l’Andalousie : ce n’est que la fille d’une diseuse de bonne aventure ou d’une danseuse de carrefour, dont le mari ou l’amant (si ce n’est elle-même) s’adonnait au rapt des petits chiens et des chaînes d’or.

L’explication était péremptoire, au point que, renonçant d’emblée à mes idées romanesques, je répondis sans hésiter :

— Eh bien, que le nom de Morena lui soit léger ! C’est un adjectif qui peut qualifier sans profanation une créature de