Page:Sand - La Filleule.djvu/42

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de m’absorber dans les livres pour échapper aux réflexions amères.

Je me laissai prendre, non plus comme un désœuvré, mais comme un enfant, aux séductions de la nature ; je sentais, si je puis parler ainsi, mes yeux s’agrandir et ma vue s’éclaircir pour embrasser le spectacle des choses éternellement vraies dans l’ordre de la beauté matérielle : les grands arbres, ces monuments qui vivent et progressent ; les fleurs sauvages, cette ornementation qu’on respire et qui renaît sous le pied qui la brise ; les ivresses bruyantes que répand le soleil sur les plantes et les animaux ; les langueurs muettes où la lune plonge délicieusement la création, toujours éveillée, même dans son silence. J’avais encore dans l’esprit un peu de ce vague contemplatif que ne secouent pas aisément ceux qui ont respiré en naissant l’air des vallées de l’Indre ; mais je m’initiais à l’appréciation d’une nature moins douce et plus belle. Je n’attendais plus, dans une promenade sans but, les influences du dehors ; j’allais les chercher, les surprendre même dans ces sites qui résument ou rapprochent la grandeur et la grâce, l’immensité des horizons éblouissants, ou la sauvagerie des retraites cachées.

Un matin, je vis voler sur les bruyères, ou dormir sur l’écorce des bouleaux, de si beaux insectes, que je me pris de goût pour l’entomologie.

— Encore une étude incidente, pensai-je en souriant ; mais qu’importe, si elle me charme pendant une saison ?

Je me procurai quelques livres que je feuilletais le soir pour m’assimiler l’esprit des classifications établies. Je vis que c’était là, non une science faite, mais un champ illimité d’observations ouvert à l’activité de l’explorateur. Pour devenir entomologiste, il faut consacrer sa vie à compter les fils d’une dentelle flottante, insaisissable, merveilleuse, que le soleil ou la brise secouent sur la végétation, à toutes les heures du jour