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Page:Yver - Princesses de Science.djvu/60

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princesses de science

joué son destin sur un mot, et comme la terreur d’une spéculation décisive et fausse. Bien loin de s’irriter contre l’exigence de Guéméné, elle en était flattée, car elle y sentait l’exclusivisme qu’aiment les femmes. Mais elle regrettait de ne point éprouver la passion souveraine qui eût d’elle-même requis le sacrifice demandé.

Il lui arriva plusieurs fois d’imaginer qu’elle parvenait à le faire : et toujours elle se revoyait diminuée, humiliée, mais libre, l’âme légère, prête à toutes les soumissions. Qu’elle pût donner ainsi plus de joies à l’époux-maître, elle ne le concevait que trop. Madame Herlinge, sa mère, femme sensée, d’un esprit agréable, n’avait jamais, de toute sa vie, tenu un autre rôle auprès du docteur. Mondaine, instruite, elle combinait, pendant sept ou huit jours, de grands dîners où trônait le célèbre médecin, tandis qu’elle y gardait le silence. Née dans le faubourg Saint-Germain, elle avait, pour complaire au docteur, insensiblement négligé les relations qu’y possédait sa famille, et, par leur salle à manger ou leur salon de l’avenue Victor-Hugo, Thérèse n’avait guère vu défiler que les « plus distingués confrères » d’Herlinge. Sa mère aimait aussi le théâtre, où on ne la voyait jamais, le docteur s’y ennuyant. Elle était au surplus souriante et affable, son mari souvent maussade et acariâtre. Il parlait beaucoup ; elle peu. Elle s’était éteinte lentement auprès de lui, comme la flamme d’une faible lampe s’abolit auprès d’un