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Page:Yver - Princesses de Science.djvu/97

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princesses de science

à une épouse de hasard, qui n’eût guère été pour eux qu’une maîtresse défendue et fugitive.

— Vous dites : « La plupart sont consolés… » J’en connais un qui vous pleure toujours. C’est le petit Bernard de Bunod. Sa mère vous exècre depuis le jour où il s’est écrié devant elle : « Je me tuerai !… »

Un rire d’incrédulité tranquille passa entre les lèvres mi-closes de madame Lancelevée ; et ce fut toute sa réponse. Artout regardait à la dérobée cette étrange femme qui, parlant des hommes épris d’elle, pouvait dire : « la plupart ». Elle avait été, en effet, fort aimée et de façon singulière : son beau corps et le feu tragique de ses prunelles sourdement passionnées avaient appelé le grand amour, en même temps que sa volonté infrangible d’être heureuse autrement s’y était refusée. On sentait aujourd’hui, dans son visage un peu fané, comme la fatigue secrète de luttes profondes et une certaine dureté victorieuse. Elle vieillissait. Depuis quatorze années, elle avait laissé derrière elle, échelonnées dans sa jeunesse, des passions mortes ; un jeune homme, de cinq ans moins âgé qu’elle, ce Bernard de Bunod qu’elle avait soigné dans une angine diphtéritique, s’acharnait à l’aimer sans espoir. Mais la vie de la doctoresse, que favorisait et dédommageait magnifiquement la gloire, était maintenant faite, agréable, complète et apaisée. Elle en avait oublié bien d’autres ; ce pâle enfant gâté, habitant chez sa mère, en « fin de race », ne comptait plus.