Sept lettres de Mérimée à Stendhal/05

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Sept lettres de Mérimée à Stendhal, Texte établi par Casimir StryienskiAux frais de la compagnie (p. 43-45).
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V

Strasbourg, 4 juin 1836.

Ce que vous me dites du Des. me surprend excessivement. Il faut qu’il soit bien sous l’influence de Rosine pour qu’il vous traite ainsi, car croyez-moi il ne peut que vous détester, vous êtes précisément son contraire. Je croirais à une trahison de sa part si en même temps son conseil ne me semblait bon et raisonnable. Je m’explique sa conduite par le canal bien sec dont je vous ai parlé. De gustibus, etc. En tout cas je vous félicite. Vous avez dû recevoir une lettre de moi à laquelle vous ne répondez pas. Elle était de Colmar, et son objet était de vous conseiller de rester à Paris, et si vous étiez en humeur de vous sacrifier, de venir descendre le Rhin avec moi, ou me rencontrer quelque part à Laon, Reims ou Châlons sur la route. Le 15 juin je serai à Spire. Je quitterai Strasbourg vers le 12. Mais j’irai horriblement vite et vous n’auriez guère de chances d’amusement si les basiliques carlovingiennes vous touchent peu.

Je ne crois pas à l’histoire que vous me contez de l’aide de camp. Le mari est prédestiné inévitablement au cocuage. Cela ne peut lui manquer, mais son heure n’est pas venue, et les obstacles matériels abondent trop sur la route pour que l’affaire se fasse tout de suite. D’un côté la mère qui a intérêt à ce que Miss soit sage, de l’autre le caractère parfaitement rêche de Miss elle-même, la topographie de la maison, tout cela rend l’histoire très improbable. La mère avec beaucoup d’esprit et d’intrigue est la maladresse personnifiée. Elle n’a pu acquérir le sublime tact que M. de

Talleyrand et nous avons reçu de nos illustres aïeux.

Rien de plus triste que ma vie du soir, rien de plus occupé que ma vie du matin. Le soir je n’ai guère le cœur d’écrire autre chose que mes notes de voyage et le matin je fais mon métier de commis-voyageur.

Je reçois une lettre d’Hippolyte qui m’écrit aussi que votre affaire est arrangée. Je souhaite que vous voyant du foin dans vos bottes vous ne disiez pas quelque chose de grave à votre général que j’ai vu bien rageur en parlant de vous. Avez-vous vu M. de Cub. et lui avez-vous demandé sa protection ? Mme de Cub. a dû être jolie, mais elle est un peu blue-stockings[1]. Je crois que vous seriez bientôt très bien avec elle et qu’elle vous seconderait auprès de vos généraux en chef.

Mille amitiés.


  1. Bas-bleu.